Si à l’évocation du nom de Shigeru Miyamoto vos oreilles se dressent toutes seules, ce dossier est fait pour vous. Le papa de Mario est en quelque sorte l’alter égo de Walt Disney pour le jeu vidéo, un démiurge dont l’oeuvre et la mythologie hante petits et grands. Pouvait-il se douter dans les années 1980 que sa créature rondouillarde et bariolée allait devenir l’une des icônes les plus vénérées du jeu vidéo?
Donkey Kong (1981, Arcade)
La première pierre à l’édifice se nomme Donkey Kong. Jumpman (Mario) est représenté par un sprite de 16 par 16 pixels utilisant 3 couleurs. Trop compliqué de représenter des cheveux ? S. Miyamoto lui colle une casquette ! Trop dur de dessiner une bouche ? Une moustache ! Trop difficile de distinguer les différentes parties du corps ? Des gants, et une salopette ! Grâce à son design original et ses sauts légendaires, Mario devient une vedette internationale dans les salles d’arcade.
Super Mario Bros (1985, NES)
Autre œuvre pionnière, Super Mario Bros, va à elle seule placer Nintendo et son jeune directeur artistique, S. Miyamoto, en orbite. Savante alchimie ludique qui transcende le genre plate-forme, alors à ses balbutiements, pour y ajouter une dimension non linéaire jouissive, du fait de l’existence d’un scrolling (défilement horizontal) et d’une succession de tableaux, Super Mario Bros est une ôde à la précision. Offrant un challenge relevé, légitimé par une jouabilité indécemment millimétrée, et une aventure de longue haleine parsemée d’une batterie de secrets, la cartouche fait sensation. Il demeure d’ailleurs le titre unique (les Pokemon classiques étant proposés en version double) le plus vendu de l’histoire au Japon, avec 6,8 millions d’exemplaires écoulés.
Mario part à l’aventure
The Lost Levels (1986, Famicom Disk System), Super Mario Bros 2 (1988, Famicom Disk System), Super Mario Land (1989, Game boy), Super Mario bros 3 (1988, NES) ajoutent une dominante « exploration » à la saga. Mario évolue désormais sur une carte, qui présente différents mondes avec leur propre univers. Super Mario Land 2 (1992, Game boy), et Super Mario World (1990, Super Nintendo), reprendront directement cette idée, qui donne beaucoup de relief à l’aventure. Parallèlement à ces sautillages sur l’armée de Bowser, Mario plonge dans le monde du travail dans Mario’s Cement Factory (1983, Game & Watch), s’essaie timidement au sport (Golf, 1990, Game boy), avant de faire un passage remarqué dans le milieu médical avec Dr. Mario (1990, Game boy).
Super Mario World, fer de lance de la Super Nintendo et apogée des Mario en 2D, préfigure une nouvelle ère dans l’histoire de la saga. Nintendo va tenter plusieurs paris fous pour insuffler une nouvelle dynamique à son plombier pourfendeur de tortues.
Mario au volant
Tout d’abord, avec la sortie de Super Mario Kart (1992, Super Nintendo), qui se révèle être une bombe de fun démocratisant le jeu en écran splitté. Avec ce blockbuster interplanétaire à la sauce Mode 7, la firme de Kyoto poursuit sa volonté de diversifier sa licence. Un peu plus tard, Nintendo réalise un nouveau tour de force en accouchant de Yoshi’s Island, soft auquel la compagnie imprime une identité artistique forte, par des choix graphiques plus personnels; ceux-ci s’écartent du classicisme coutumier, tout comme le fera par la suite Paper Mario. Yoshi’s Island renforce également le replay value en incitant le joueur, par une collecte de bonus en tous genre, à finir les niveaux à 100%.
Mario s’essaie au jeu de rôle
Enfin, avec Super Mario RPG (1996, Super Nintendo), réalisé par Squaresoft, la série tente une incursion réussie dans le monde du jeu de rôle, qu’elle réitèrera plus tard avec Paper Mario (2001, Nintendo 64), sa suite (2004, Game Cube), Mario & Luigi (2003, GBA – 2005, DS), puis les épisodes DS et Wii.
Les célèbres complices de Mario
Mario ne saurait tenir durablement la vedette, et les seconds rôles prennent leur envol sans complexe. Ainsi, Yoshi, co-héros de Yoshi’s island, aura droit à propre aventure, avec Yoshi’s Story (1998, Nintendo 64), et récemment, Yoshi’s Touch and Go sur DS ; Wario, alter ego capitaliste du plombier italien débutera une carrière solo dans Wario Land (1993, Game boy), pour ensuite se faire le VRP des mini jeux de réflexes à la Nintendo (Wario Ware, 2003, GBA). Luigi jouera les ghostbusters effarouchés dans Luigi’s Mansion (2001, Game Cube), et la princesse Peach rejouera le coup du parapluie dans Super Princess Peach (2005, DS).
Super Mario 64 (1996, Nintendo 64)
La deuxième impulsion déterminante dans l’histoire de la saga après Super Mario Bros se nomme Super Mario 64, un des titres les plus marquants et décisifs que les jeux vidéo aient jamais compté. L’exploitation de la 3D temps réel, dans un jeu d’une richesse démentielle et au gameplay pensé dans ses moindres détails, apporte à la série un incroyable renouveau. Mais, curieusement, Nintendo exploitera très timidement ce nouvel eldorado polygonal, en ne donnant que de rares successeurs véritables au chef-d’œuvre. Super Mario Sunshine (2002, Game Cube) obtient un joli succès, mais laisse une partie des fans dubitatifs, par le manque d’innovations apportées au concept original, calqué au papier carbone sur celui de son aîné.
Mario se multiplie à l’infini
Pendant l’ère Nintendo 64, Nintendo, boudé par les éditeurs tiers dont Electronic Arts et sa gamme EA Sports, va alors tenter de développer la ludothèque de sa console en multipliant les jeux multijoueurs, délaissant l’aventure au profit du sport et de la convivialité. Les étapes marquantes de cette politique se nomment Mario Party (1998), Super Smash Bros (1999), Mario Golf (1999), Mario Tennis (2000), lesquels compteront des suites sur Game Cube. Avec cette dernière, le géant nippon, alors en panne d’inspiration, augmente encore la cadence, et surexploite sa licence sans relâche. Pas moins de sept Mario Party sortiront en l’espace de sept ans. Le plombier, sorti des rails de la plate-forme, va endosser le rôle de héros à tout faire. En plus de s’essayer au tennis, au kart et au golf, il ajoutera à son arc le ski (Guest de SSX On Tour, 2005), le football (Mario Smash Football, 2005), le baseball (Mario Superstar Baseball, 2005), la danse (Dance Dance Revolution Mario Mix, 2005), puis le basket, sur DS (Mario Slam Basketball, 2007). La GBA se veut quant à elle la plate-forme du recyclage. Entre les Mario Advance et les NES Classics (GBA, 2001 à 2005), plus d’une dizaine de remakes verront le jour. Le retro gaming est alors en pleine explosion, et Nintendo surfe sur la vague de la nostalgie avec succès. Mais la créativité légendaire de l’éditeur est en berne.
New Super Mario Bros (2009, Wii)
En 2005, Mario fête ses 20 ans. La firme japonaise souhaite alors revenir à ses fondamentaux, et renouer avec la plate-forme traditionnelle. Nintendo rend un bel hommage à son héros dans New Super Mario Bros. Remake réussi de l’illustre ancêtre de 1985, il remet au goût du jour, par une réalisation subtile 2.5D (jeu conçu en 3D mais jouable en 2D), un genre que l’on croyait relégué aux greniers. Les joueurs sont séduits par ce brillant retour aux sources, et le jeu dépassera à une vitesse stratosphérique les 4 millions d’exemplaires au Japon. Nintendo crée également une suite à Yoshi’s Island, (2006, DS), et mêle habilement la plate-forme et le puzzle dans Mario Vs Donkey Kong (2004, GBA, puis en 2007 sur DS).
Super Mario Galaxy (2007, Wii)
Ce n’est un secret pour personne, la GameCube s’est moins vendue que la Xbox de Microsoft et surtout la PS2 de Sony, qui a tout raflé. Ainsi, S. Miyamoto a prié très fort pour que la Wii devienne aussi populaire que la Super Nintendo en son temps… et sa prière, appuyée par un marketing novateur, fut exaucée. Désireux de redonner franchement au plombier moustachu ses lettres de noblesse, Nintendo amorce avec Super Mario Galaxy un tournant décisif. Le concept proposé par cette machine défiant tous les codes et les conventions établies, le jeu propose pour la circonstance une aventure défiant les lois de la gravité. Par une jouabilité devant permettre à des joueurs n’ayant jamais joué à un Mario en 3D de se sentir immédiatement à l’aise, le titre offre des sensations inédites de liberté, en raison du décor « planétaire » proposé, qui se joue des repères classiques de spatialité.
Nintendo étend le concept totalement loufoque selon lequel Mario n’a pas besoin d’air pour rester sous l’eau jusque dans l’espace. En effet, Mario n’a nul besoin d’une combinaison de cosmonaute pour voguer de comète en planète. Certes, le jeu n’est pas aussi révolutionnaire que Super Mario 64 en son temps, mais Mario Galaxy en reprend le fun et le décuple. Le but principal est de collectionner des étoiles: plus on a d’étoiles, plus on peut visiter les niveaux avancés. On peut aussi refaire les anciens niveaux pour dénicher toutes les étoiles qu’ils contiennent. Jusqu’à là, rien de nouveau. La vraie différence, c’est que le jeu a troqué le château de Bowser contre une galaxie entière, avec tout ce que ça implique de planètes et de satellites. Tel le « Petit Prince » de Saint-Exupéry, Mario aura souvent la tête en bas sur des petites planètes individuelles très poétiques. S. Miyamoto peut décidément être fier. Dans les années 1980, il était impossible d’imaginer son plombier bedonnant proposer un gameplay qui aille aussi loin. Super Mario Galaxy propose l’un des plus beaux jeux de la console en plus d’exploiter astucieusement la Wiimote, sans compter qu’il tord le cou à l’image « Casual » de la Wii.
Super Mario Galaxy 2 (2010, Wii)
Mario a, semble-t-il, fait pression sur son créateur pour être réexpédié aux confins de l’univers dans Super Mario Galaxy 2. Jouant de nouveau avec les astres tel un enfant des étoiles insatiable, Mario redécouvre les joies de la gravité et fait sienne la loi de l’attraction propre aux myriades de micro-planètes qui lui tendent les bras. Super Mario Galaxy 2 reprend donc la base de son prédécesseur en guise de canevas tout en y ajoutant une quantité phénoménale de trouvailles et de clins d’œil aux anciens opus de la saga. Difficile, d’ailleurs, de trouver plus fertile comme source d’inspiration que le parcours de la mascotte de Nintendo, chaque nouvelle galaxie explorée étant l’occasion d’introduire autant d’idées nouvelles que de références directes à Super Mario World, Super Mario 64 ou Super Mario Bros. 3, pour ne citer que ceux-là.
Notre cosmonaute à moustache peut désormais faire appel à Yoshi, sa monture fétiche depuis Super Mario World. Même si ce dernier n’est pas accessible sur la totalité des niveaux du jeu, les mondes qui lui sont dédiés font preuve d’une étonnante inventivité. Capable de pédaler un court instant dans les airs, Yoshi peut aussi gober les adversaires les moins piquants pour les engloutir d’un seul coup, quitte à recracher les carapaces les moins faciles à digérer. La langue de Yoshi est d’ailleurs mise à contribution pour tirer sur certains mécanismes, mais attention à ne pas se faire scotcher les lèvres par des ennemis en mal d’affection. Toujours aussi avide de fruits en tout genre, Yoshi a la chance de pouvoir goûter ici à de toutes nouvelles saveurs. Le piment rouge, par exemple, lui donne le feu aux fesses et lui confère un turbo très utile pour gravir les côtes les plus raides. La prune lui donne des gaz fort bienvenus pour lui permettre d’évoluer dans les airs tel un ballon de baudruche en expulsant de l’air par la bouche. Enfin, la poire fait apparaître des chemins invisibles en donnant à Yoshi des allures de luciole.
Terminons en précisant que Super Mario Galaxy 2 jouit d’une durée de vie assez incroyable. Car l’aventure comporte, dans sa globalité, pas moins de 240 étoiles à dénicher. Pour voir la fin du jeu, vous devrez d’abord rassembler un minimum de 70 étoiles, auxquelles on peut ajouter 50 étoiles facultatives. Il est même possible de refaire l’aventure en contrôlant Luigi, dont les propriétés physiques sont (très) légèrement différentes de celles de Mario. Les Hardcore-gamers en auront donc pour leur argent s’ils veulent boucler le jeu dans son intégralité.
Conclusion
Reste qu’entre une diversification pléthorique, qui ressemblerait parfois à de la dispersion, et la poursuite d’une nouvelle voie de gameplay, la saga Mario aspire plus que jamais à séduire le plus grand nombre. Il sera intéressant de voir si le succès de la 3DS et de la Wii U influera de manière positive sur une licence qui demeure l’une des plus solides et prolifiques de ces vingt dernières années.
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.