Il convient de distinguer quatre catégories principales dans la jungle des jeux vidéo musicaux : les jeux de danse (Dance Dance Revolution), les jeux instrumentaux (Rock Band), les jeux à reconnaissance visuelle (Dance Central) et les ovnis musicaux (Child of Eden). Êtes-vous prêt(e) à pénétrer sur le Dance floor ?
Les jeux vidéo de danse
Le jeu vidéo musical tire ses racines de l’arcade japonais, c’est Dance Dance Revolution (DDR) édité par Konami en 1998 qui va faire découvrir le genre aux joueurs occidentaux (malgré le prix élevé de la borne à l’époque: environ 6 000€.) Le joueur dispose d’un « tapis » de danse comportant quatre boutons plats sur lesquels des flèches sont dessinées (haut, bas, gauche, droite.) Le principe, qui est de poser en rythme ses pieds sur les flèches indiquées par l’écran, et en respectant un timing précis, est vite assimilé par le public féminin, peu à l’aise avec une manette dans les mains. Très vite, les bornes d’arcade disposent de deux tapis pour inciter les couples à s’affronter dans un duel rythmique et chorégraphique.
L’une des caractéristiques des jeux qui consacrent la magie envoûtante de la musique comme l’élément déclencheur, est le moteur de la « vibe ». Fil conducteur de la partie, le joueur doit l’intégrer, la sentir, faire corps avec elle, sans jamais se désynchroniser. Le rythme et le timing posent le cadre, conditionnent la réussite, ou bien l’échec. Avec à chaque fois, pour les plus forcenés, cette volonté de se dépasser, d’aller tutoyer la perfection, et de dynamiter le score.
La marge de progression, sur ce genre de jeux où la technique s’affine au fil des parties, est énorme. Un joueur de « Rythm game » confirmé se repère au premier coup d’œil, et il est improbable qu’un débutant puisse espérer lui tenir la dragée haute. À l’instar de certains FPS online, les jeux musicaux ont leurs codes, leurs factions, leurs équipes. L’entraînement est de rigueur, pour progresser, acquérir des automatismes, ainsi qu’une dextérité suffisante pour gagner en vitesse et ne pas se laisser dépasser par les plus hauts niveaux de difficulté. Très éprouvantes sur le plan physique, certaines parties de DDR nécessitent un état de forme digne d’un sportif de haut niveau. Pas d’improvisation possible, le jeu donne le « La ». Il indique, par un code couleur ou un symbole, la touche sur laquelle appuyer, ou le mouvement à réaliser; et surtout à quel moment. Une erreur sur un de ces deux paramètres, et c’est la partie parfaite qui s’envole. Les jeux musicaux sont ainsi, pour les plus perfectionnistes, un défilé de parties où l’obsession du score implique une concentration infinie, et un sang froid de démineur.
Et lorsque le rythme et le placement parfaits ne suffisent plus à épater les foules, le style et la chorégraphie entrent en scène. C’est la valeur ajoutée du joueur expérimenté, celle qui le singularisera par rapport à ses comparses. En simple ou en double, DDR offre ainsi la possibilité de véritables démonstrations de force, ou toutes les parties du corps sont sollicitées, y compris les mains. Sessions dos à l’écran, sauts d’une borne à l’autre, déguisements, mimiques célèbres, toutes les extravagances sont possibles, et même conseillées pour conquérir le public… Certains jeux musicaux s’offrent ainsi le luxe d’être à la fois agréables à jouer, et à regarder. DDR en compétition est un véritable spectacle : il éclipse tous ses clones et remporte la palme du meilleur jeu de danse.
Les jeux vidéo instrumentaux
Les jeux instrumentaux surfent sur les tendances musicales appréciées des adolescents. Leur pérennité est à ce prix. Le premier d’entre eux est Beatmania, simulateur de DJ doté de platines lumineuses. Apparu en 1997 au Japon, il s’est taillé une solide réputation chez les joueurs, séduits par le gameplay boutons/ platine, et les sonorités électro. Moins populaire en Occident, Beatmania s’est néanmoins offert moult adaptations consoles, notamment chez Sony. DJ Hero, sorti sur Xbox 360, Wii et PS3 en 2009, va allégrement copier le principe.
Guitar Freaks, toujours produit par Konami, est l’ancêtre de Guitar Hero. Accompagnant la déferlante DDR/Beatmania, il s’est montré pour la première fois en 1998 en arcade, avec un succès relativement important. Sa présence hors Japon fut cependant très discrète, et le jeu ne décolla jamais sur console, en raison de l’absence de guitare vendue avec le jeu, et d’une Playlist peu aguicheuse.
Guitar Hero va devenir un hit grâce à son univers en adéquation avec le retour du rock américain en 2006, et ses morceaux à même de plaire aux joueurs occidentaux, moins sensibles à la folklorique J-pop acidulée. Le joueur incarne le guitariste d’un groupe qui va gravir les échelons de la scène rock, et se produire sur des scènes de plus en plus imposantes. La guitare, qui fut immédiatement proposée en bundle avec le jeu, est pourvue de 5 boutons avec un code couleur, et d’un vibrato. Contenu téléchargeable et mode online permettent au hit d’Activision de truster les ventes à chaque fin d’année.
Retour sur le très prolifique Bemani, qui livra en 1999 Drum Mania, simulation de batterie. Le joueur, comme sur le véritable instrument, est en position assise. La borne en reproduit assez fidèlement les différentes composantes, d’ailleurs conçues par Yamaha, pour un résultat parfaitement audible. Drum Mania était également prévu pour se connecter avec 2 bornes Guitar Freaks, pour reproduire un groupe de rock à trois musiciens, annonciateur du futur Rock Band.
Le concurrent de Guitar Hero, Rock Band, explose les ventes en 2008. Le jeu permet de former un groupe de rock virtuel en donnant la possibilité de jouer à 3 instruments en simultanée : un micro, une guitare et une batterie. Au fil des épisodes, Guitar Hero et Rock Band proposent une surenchère d’exclusivités : Guitar Hero : Aerosmith (2008), Guitar Hero : Metallica (2009), Guitar Hero : Van Halen (2009) contre AC/DC Live : Rock Band (2008), Rock Band : The Beatles (2009), Green Day : Rock Band (2010.) Les instruments suivent le même mouvement avec l’arrivée de la basse, l’amélioration de la batterie, qui comprend désormais des cymbales, et l’arrivée d’un clavier dans Rock band 3 (2010).
Cet instrument n’est toutefois pas une réelle nouveauté, puisque le pauvre Bemani livra dès 2000 un étonnant jeu de piano, Keyboard Mania. Ce jeu mettait à disposition un clavier de 24 touches, sur lequel il fallait jouer en suivant la rythmique et le placement des symboles défilant sur l’écran. Forcément moins accessible qu’un DDR, Keyboard Mania ne fera qu’un bref séjour dans les salles d’arcade, et sera totalement méconnu en Occident.
Typiquement japonais, Taiko no Tatsujin, édité en 2001 par Namco, va par contre rencontrer un vif succès au Japon. La borne, constituée de 2 Taiko, instruments à percussion traditionnels, est moins volumineuse que les originaux, et sa pratique s’avère bien plus aisée. Le principe de base consiste en effet à suivre le tempo d’une chanson en battant les temps sur le tambourin.
Un gameplay qui sera par la suite repris par Nintendo pour Donkey Konga en 2003. Bien réalisé, idéalement calibré pour le grand public, et disposant d’une playlist latino de qualité, le jeu est vraiment fun. Malgré tout, les accessoires en forme de Konga souffriront d’une sous-exploitation de la part de Nintendo. Une seule véritable suite verra le jour, à l’été 2004, puis un jeu de plateforme original compatible avec les Konga, Donkey Kong Jungle Beat, lui aussi sorti sur Gamecube. Enfin, Donkey Kong Bongo Blast, « Mario Kart like », devait lui aussi utiliser les fameux Kongas, mais son passage de la Gamecube à la Wii mettra finalement un terme à cette option en 2008.
Sega avait déjà exploité le filon des sonorités latines, avec le très festif Samba de Amigo, adapté en 2000 sur Dreamcast. Ce jeu de maracas, moins japonisant, et débordant de personnalité, a connu un étonnant succès critique. Malheureusement, sa faible diffusion et son prix prohibitif (500 exemplaires pour 150€ en France) empêcheront la licence de la Sonic Team de décoller. Nintendo a récupéré Samba de Amigo sur Wii en 2008, mais l’imprécision des Wiimotes peinent à vraiment nous immerger dans le jeu. Ce défaut est d’ailleurs récurrent pour les jeux musicaux sur Wii. Étonnamment, la pauvreté du gameplay sur Wii ne constitue pas un frein à l’achat, et les très jeunes joueurs et joueuses se sont ruées sur les catastrophiques Dance Dance Revolution : Hottest Party (2 millions d’unités vendues), Michael Jackson : The Experience (2,85 millions d’unités vendues), Wii Music (3 millions d’unités vendues), et la misérable série Just Dance, qui totalise 15 millions d’unités vendues ! Les jeux de karaoké ont également eu droit à leurs heures de gloire avec les SingStar sur PS2, puis sur PS3. Sans passer par la case arcade, cette licence apparue en 2004, a cumulé 17 millions de ventes ! La palme du meilleur jeu instrumental est attribuée à Rock Band 3, qui permet une grande complémentarité des instruments (micro, guitare, basse, clavier et batterie).
Les jeux vidéo de danse à reconnaissance visuelle
La troisième catégorie de jeux musicaux utilise le corps comme principal instrument. Et quel jeu incarne le mieux cette mouvance que l’innovant Para Para Paradise ? Une nouvelle fois créé par Bemani, ce titre de 2000 surfe sur un style de danse typiquement japonais, le Para Para, qui consiste à reproduire une chorégraphie constituée essentiellement de mouvements de bras. Pour ce faire, l’éditeur Konami a développé une borne d’arcade composée de différents capteurs qui vont détecter les mouvements du joueur. En raison de son concept atypique, qui pourrait sembler des plus déconcertants aux non-initiés, Para Para Paradise ne connaîtra que 3 versions arcade, et une timide adaptation sur PlayStation 2.
Dance Maniax, sorti à la même époque, utilise le même concept. Par le biais de 8 capteurs, le joueur va effectuer une chorégraphie en suivant les indications des différents symboles défilant à l’écran, et qui précisent quel capteur (sur les 8 au maximum) traverser. Comme pour Para Para Paradise, la diffusion du jeu se limitera aux salles japonaises et coréennes, mais ne fera l’objet d’aucune adaptation console.
Déclinaison du 1er Eye-Toy, soft proposant une série de mini-jeux exploitant la mini caméra de Sony qui permet au joueur de se voir à l’écran, l’Eye-Toy : Groove offre différents challenges musicaux à base de mouvements de bras. Plus axé grand public que les 2 précédentes productions évoquées, il jouira en outre d’une playlist de qualité.
Cependant, c’est surtout la Xbox 360 et sa fameuse caméra Kinect qui ont su redonner de l’engouement pour le genre. Fini les tapis de danse ou les Wiimotes qui encombrent les mains, cette fois le joueur est entièrement libre de ses mouvements et peut se croire sur le Dance floor. Dance Central ne souffre d’aucun temps de latence, si bien qu’il faut être sacrément en rythme pour reproduire les mouvements effectués par le personnage à l’écran. Afin d’anticiper les prochains pas de danse, de petites vignettes à droite de l’écran montrent qu’elles seront les deux prochaines pauses à adopter. Un autre encart permet d’avoir un aperçu de vos propres mouvements, pour les corriger au besoin en temps réel. Enfin, un indicateur de score en bas à gauche de l’écran se remplit en fonction de vos performances. Autre prétendant, Michael Jackson : The Experience constitue une déception : si Kinect n’est pas à remettre en cause, la trop grande facilité du jeu fait que l’on ne se prend pas vraiment pour le King of Pop. L’excellente reconnaissance des mouvements de Kinect et la cohérence de gameplay de Dance Central lui octroient la palme du meilleur jeu de danse à reconnaissance visuelle.
Les ovnis musicaux
Certains jeux musicaux possèdent aussi ce petit grain de folie typiquement japonais qui rend leur approche si particulière pour les occidentaux. Leur charme désuet est aussi l’une des forces des Rythm games, qui plongent le joueur dans un univers décalé, voire absurde. Sur le plan de la réalisation, la plupart des jeux originaux proposent des univers graphiques colorés, souvent kitsch et flashy, et des plus dépouillés; délibérément relégués au second plan pour ne pas déconcentrer le joueur. Ils se mettent donc à son diapason, l’accompagnant pendant la joute musicale.
En 1997, c’est PaRappa The Rapper, qui embellissait la ludothèque de la PlayStation. Le cocktail mêle une réalisation étonnante, qui à l’époque avait fait grand bruit (personnages « plats » en 2D évoluant dans des décors hauts en couleur) avec une bande-son envoûtante, fait de hip-hop édulcoré. Et que dire de votre coach, un judoka à tête d’oignon !
Oendan, déjà très populaire en Europe, où il sera adapté sur DS sous le nom de Elite Beat Agents, en est l’une des tentatives réussies. La jouabilité au stylet s’intègre parfaitement à une réalisation des plus loufoques, pour des parties ponctuées de scènes cultes et de dialogues sans queue ni tête. De même, comment ne pas sourire devant les délires musico-minimalistes des créateurs de Wario WareRythm Tengoku, l’allure hawaïenne des Pinky Street, ou l’euphorie graphique de Gitaroo-Man ?
Space Channel 5 est un ovni du même calibre. Sorti sur Dreamcast en 2000, il propose d’incarner la plantureuse Ulala, une reporter de l’espace aux talents de chanteuse et de danseuse prodigieux. Appelée afin de couvrir une prise d’otage, Ulala doit remporter un concours de danse contre des extra-terrestres pour libérer les prisonniers humains. L’occasion pour ce soft inclassable de proposer un univers kitsch, une bande-son disco entrecoupée de bruitages fous, et des chorégraphies sympathiques. Impossible d’y voir une réelle cohérence tant le mélange est improbable. Mais la recette inventée par Tetsuya Mizuguchi fonctionne, et laisse encore aujourd’hui un souvenir impérissable.
Beaucoup moins coloré, voire minimaliste à l’extrême, Vib Ribbon (PlayStation, 2000) est une incontestable claque sur le plan visuel. Les graphismes, intégralement en fils de fer grossièrement tracés sur fond noir laissent pantois. Tout comme le principe du jeu, qui est d’accompagner le lapin mélomane Vibri à travers des niveaux qui évoluent en fonction de la bande-son, celle-ci pouvant même être remplacée par ses propres morceaux. Le concepteur du jeu n’est autre que Masaya Matsuura, auteur du déjà culte PaRappa the Rapper.
REZ, sorti sur Dreamcast en 2001, offre également une expérience déconcertante. Ce shoot de Tetsuya Mizuguchi propose d’évoluer dans des décors fils de fer sur fond de musique électronique. Cette bande-son dont le rythme va épouser les vibrations du pad, va évoluer en fonction des actions du joueur, donnant ainsi à l’ensemble des variations toujours différentes. REZ, connaîtra hélas, comme certains des softs précités, une carrière courte en marge des charts.
Tetsuya Mizuguchi va connaitre alors une traversée du désert. Ses tentatives de jeux se feront plus modestes : Lumines sur PSP en 2004 et Meteos sur DS en 2005. Il participe également à la bande-son du jeu d’action complètement fou No More Heroes sur Wii en 2008. Ce n’est qu’en 2011 que Tetsuya Mizuguchi revient sur le devant de la scène, avec l’incroyable Child of Eden, qui remporte la palme de l’ovni musical le plus réussi. Le jeu utilise Kinect à la perfection, mais ne connaitra hélas pas les ventes escomptées.
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.