« Hadoken », « Sonic Boom »… autant de doux cris de guerre qui invitent à broyer des os virtuels. Street Fighter II de Capcom a drainé des millions de joueurs vers un genre jusque-là chasse gardée des salles d’arcade. Après le sursaut 3rd Strike, on pensait la série éteinte. Et pourtant, l’héritage historique d’une licence qui fut autrefois sur toutes les lèvres reprend forme avec le quatrième épisode. Comment expliquer le succès de Street Fighter IV ?
Aux origines était Street Fighter II (Arcade, 1991)
Le premier Street Fighter sorti en 1987, mais ne marqua guère les mémoires. Symbole de son succès, le second épisode fit vendre des millions de Super NES en 1992, car cette version se rapprochait le plus de l’arcade. Sega va alors courtiser Capcom pour obtenir un an plus tard Street Fighter II’ Champion Edition, avec quatre personnages jouables en plus sur Megadrive. Capcom se trouve au centre de la bataille des consoles 16 bits et gagne un argent fou : c’est au tour de Nintendo de contre-attaquer et de décrocher Super Street Fighter II : The New Challengers et 4 nouveaux personnages. En privilégiant celui qui paye le plus tel un mercenaire, Capcom aura considérablement contribué à la suprématie de la Super NES (50 millions de consoles vendues) sur la Megadrive (35 millions de consoles vendues). Un lecteur attentif aura surtout remarqué la supercherie : la firme aura proposé des jeux incomplets au prix fort (550F soit 80€ pour la Megadrive, 600F soit 90€ pour la Super NES) puisque la version finale de 1993 comprendra le double de personnages jouables par rapport à celle de 1992.
L’échec de Street Fighter III (Arcade, 1997)
Depuis le premier épisode (1987) Capcom s’obstine à recycler la même formule 2D. En 1997, les jeux de combat en 3D explosent (Tekken, Dead or Alive, Soul Blade), et Street Fighter III connait un revers commercial prévisible. Si Street Fighter III était vraiment superbe techniquement, sa jouabilité était néanmoins trop élitiste pour ouvrir le jeu à un public plus large. Pire : cet échec s’explique par la saturation du marché par Capcom lui-même, qui lança quatre versions entièrement différentes de Street Fighter en autoconcurrence simultanée (Street Fighter III, Street Fighter EX, Street Fighter Alpha, Marvel Super Heroes vs. Street Fighter).
Le succès de Street Fighter IV (Arcade, 2008)
Cet échec poussera la firme à adopter définitivement la 3D une dizaine d’années plus tard pour Street Fighter IV. La cinématique d’introduction de Street Fighter IV frappe fort en mettant en scène un combat entre les deux combattants les plus emblématiques de la série. La vidéo repose à la fois sur une réalisation incroyablement dynamique, l’utilisation judicieuse de ralentis, et l’ajout de filtres graphiques qui donnent vitesse et impacts aux mouvements. Il rappelle immanquablement la première scène classieuse du film d’animation de Gisaburo Sugii, mais également l’intro de Super Street Fighter II. Un trailer chargé de références, donc, et centré sur Ken et Ryu, lesquels bénéficient d’une popularité toute particulière au milieu du casting hétéroclite de la série. Un choix logique. Street Fighter IV, de l’aveu même de son producteur, Yoshinori Ono, sonne comme un retour aux fondamentaux. Un retour à l’essence même de la série, qui a pris son envol avec le deuxième opus. Décidé à mettre toutes les chances de son côté, Y. Ono n’a pas hésité à faire revenir dans l’équipe en charge du jeu certains développeurs historiques ayant travaillé sur Street Fighter II il y a une vingtaine d’années, afin d’émuler les talents d’hier et d’aujourd’hui. « La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est que je voulais revenir à Street Fighter II. On commence par examiner les fondations de la série, par essayer de créer quelque chose qui s’inspire du ressenti, du gameplay, de l’atmosphère, et de tout ce qui compose le jeu. Je suppose que mon but est de suivre ses traces. Street Fighter II est une bible ; chaque fois que j’y joue, ça m’inspire pour essayer de faire mieux ».
Car Street Fighter II, en imprimant dans l’inconscient collectif la naissance du jeu de combat 2D, a ouvert la voie à toute une génération de jeux de combat. Ce soft fondateur avait tout pour lui. Une réalisation sublime, un gameplay nerveux, mais calibré au plus juste, une palette de personnages charismatiques et idéalement complémentaires… Personne n’a oublié l’allonge élastique de Dhalsim, ni les prises de corps de Zanghief ; pas plus que la vélocité de Chun-Li, ou l’imprévisibilité de Honda et Blanka. Un modèle de character design, pour un casting universel, rassemblant de nombreuses disciplines de combats, mais aussi de cultures.
Pour un quatrième épisode dédié aux consoles HD, il n’était pas inenvisageable que Capcom fasse de nouveau le grand saut, et livre une production en 3D, qui puisse se mesurer aux mastodontes de la discipline que sont Virtua Fighter ou Tekken. Une hypothèse rapidement confirmée par les premiers screenshots, plutôt ambigus sur la représentation des engagements. Mais faire basculer ainsi un jeu de combat dans le champ de la 3D est une entreprise risquée sur laquelle de nombreux développeurs se sont déjà cassé les dents, à l’instar des essais calamiteux de Midway sur Mortal Kombat 4, SNK sur Samurai Shodown, ou King of Fighters, et des quelques épisodes Street Fighter EX livrés par Capcom, qui n’ont guère convaincus que les acharnés de la série. Et ce serait oublier ce fameux héritage laissé par Street Fighter II, difficilement transposable en trois dimensions.
Ainsi, pour marquer une nouvelle étape dans la saga, mais néanmoins demeurer au cœur d’un gameplay 2D, Capcom a fait le choix intermédiaire d’une représentation des personnages et des décors en 3D, pour un système de déplacements « fermé » en 2D. « J’avais une vision de Street Fighter IV qui s’apparente à un film en mouvement combiné à un plan entièrement en 2D », explique Y. Ono. Ou comment conserver les bases de la série en donnant l’illusion de la profondeur. Sur un plan purement esthétique, la patte cartoon de 3rd Strike a cédé sa place à une modélisation 3D massive, à la limite de la caricature. Épais, dotés dune musculature imposante, Ken et Ryu évoquent presque l’impressionnante escouade de Gears of War, et sa galerie de héros bruts de décoffrage, parfois plus larges que hauts. L’alchimie de Street Fighter IV réside dans le dosage réussi des subtilités inhérentes à un jeu de combat 2D pour ne pas réserver le jeu aux uniques initiés.
Si Street Fighter II a toujours joué la carte de la variété culturelle, au regard des différents décors et personnages présents dès le deuxième épisode, la saga a systématiquement conservé ce cachet typiquement japonais. Cachet qui s’est même accentué au fil du temps, avec un rendu toujours plus rond et coloré. Désormais, l’accent a été mis sur la carrure, et les visages arborent des traits relativement marqués, une caractéristique qui tranche radicalement avec la tendance des jeux de combat 3D made in Japan, lesquels optent généralement pour des visages fins, voire androgynes. Une manière de se démarquer, et de dérouler le tapis rouge à un public occidental qui a toujours fait un bon accueil à la série. Concernant les visages, il est également à dénoter que les expressions faciales ont été particulièrement développées, en fonction du déroulement du combat, et des coups portés. Un souci du détail qu’on retrouve aussi dans la modélisation des décors, dont l’animation est un régal pour les pupilles.
Le casting du jeu ne se limite pas à celui de Street Fighter II. La version console de 2009 contient 25 combattants à maitriser. Les personnages inédits de cet épisode sont : El Fuerte, un catcheur mexicain ; Rufus, un combattant obèse ; Crimson Viper, une espionne ; Abel, un lutteur français ; Gouken, le maître de Ryu et Ken ; Seth, un cyborg démoniaque. La version de 2010, nommée Super Street Fighter IV, ajoute dix personnages supplémentaires, mais seulement deux sont inédits : Hakan, un lutteur turc, et Juri, une combattante coréenne. La version de 2011, nommée Super Street Fighter IV : Arcade Edition, ajoute quatre personnages, dont seulement deux apportent réellement de la nouveauté : les frères Yun et Yang issus de Street Fighter III. Pour l’heure, Street Fighter IV totalise 39 personnages. Tant que les jeux se venderont, Capcom alimentera la saga en personnages bonus.
D’ailleurs, les chiffres de ventes sont excellents : 3,5 millions pour Street Fighter IV, 2 millions pour Super Street Fighter IV. Si les chiffres de la version Arcade Edition sont médiocres, c’est parce que le contenu bonus est également vendu en téléchargement sur Xbox Live et PSN. La version iPhone a quant à elle atteint ses objectifs de ventes, ce qui est loin d’être le cas de la version 3DS nommée Super Street Fighter IV: 3D Edition, et qui se crashe dans les charts avec seulement 450 000 exemplaires vendus. Non pas que le jeu soit mauvais, mais le prix de la 3DS fixé à 250€ à sa sortie a constitué un véritable frein à l’achat. Au total, 6 millions de Street Fighter IV ont trouvé acquéreurs, toutes versions confondues. De quoi redonner envie à Capcom de recycler sans fin la même formule, comme à la belle époque de Street Fighter II (qui cumule pas moins de 5 principales déclinaisons différentes, sans compter les versions remasterisées, les rééditions ou les cross-overs). Ce recyclage excessif est également appliqué à Marvel Vs. Capcom 3, sorti le 18 février 2011, alors qu’une version Ultimate avec 12 nouveaux combattants arrivera le 30 novembre 2011. Le jeu de baston style 2D à encore de belles heures devant lui (et pas seulement dans le cinéma pornographique avec cette adaptation de l’univers Street Fighter quelque peu douteuse…)
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.