Qu’ils sont admirables, ces énormes boitiers renfermant tellement de bonus que les disques de jeux se perdent dedans.
Les éditions collector s’adressent aux joueurs les plus fortunés, ou passionnés au point de vendre un rein pour se les procurer.
En cette année 2011 ultra concurrentielle pour le marché des jeux vidéo, les éditions collector se multiplient. Alors, arnaque ou vraie exclusivité ?
Aux origines du collector était le Japon
Au Japon, la pratique commerciale de l’édition limitée est une véritable institution. Finalement, que ce soit par le biais de gachapons, mangas, CD, jeux vidéo, peluches, figurines de héros issues de séries animées ou de films d’animation, tout est prétexte à la collectionnite aigüe, à l’accumulation démesurée.
L’otaku n’aura de cesse de partir à la course aux éditions spéciales, aux statuettes numérotées et autres objets plus ou moins rares qui viendront garnir ses étagères. Naturellement, les jeux vidéo ont depuis longtemps fait l’objet de ce traitement.
Pas d’éditions collector avant l’an 2000 en Europe
En Europe, le phénomène est largement plus tardif et confidentiel. Les joueurs ont dû attendre l’ère 128 bits pour que les éditions limitées commencent à se diffuser hors des boutiques import. Sur PlayStation 2, on repense naturellement au duo ICO / Shadow of the Colossus, ainsi qu’à la paire Metal Gear Solid 2 et 3. D’autres séries ont bénéficié d’éditions limitées, telles que Silent Hill (2, 3, et 4). Plus récemment, pour célébrer les 10 ans de Tomb Raider premier du nom, Eidos Interactive a proposé sur PlayStation 2 une édition collector de Tomb Raider Anniversary contenant trois disques : le jeu, la bande originale du titre, et un disque bonus compilant les meilleurs dessins et trailers des précédents opus.
Mais contrairement aux éditions limitées japonaises, qui proposent en général un coffret digne de ce nom, ainsi qu’un objet original en sus (la boisson classieuse offerte avec Crisis Core: Final Fantasy VII restera dans les mémoires), les éditions européennes se sont calquées sur la grosse tendance de l’édition collector DVD vidéo, apparue au début des années 2000. Bien souvent, cela s’est traduit par un package cartonné, un making of, et quelques commentaires de l’équipe en charge du développement. Une bonne manière d’approfondir l’univers du jeu, mais à des années-lumière des packagings japonais.
La fièvre du collector aux Etats-Unis
Cette frilosité à exporter des éditions limitées complètes n’est guère étonnante. La plupart des éditeurs japonais n’ont pris conscience que récemment de l’importance stratégique que revêt le marché européen en termes de ventes et de débouchés. Cette ouverture tardive n’a pas facilité l’arrivée d’offres attractives, malgré une réelle demande de la part des joueurs européens. Cependant, le marché japonais ne saurait avoir l’apanage de l’offre software mondiale, et fort heureusement, les éditeurs US ont pris les devants pour mondialiser leurs éditions limitées.
Sur Xbox, on se souvient de la très raffinée édition limitée métallisée de Halo 2, comprenant un making of ainsi qu’une pléiade de bonus – mais aussi des quelques efforts consentis pour Jade Empire ou Doom 3. Le premier Forza Motosport, qui fut à l’époque le pourfendeur espéré de Gran Turismo, avait aussi fait l’objet d’égards particuliers (making of, vidéos des différents véhicules inclus dans le jeu).
Peu d’offres collector chez Nintendo
Chez Nintendo, les éditions limitées n’ont jamais vraiment été portées aux nues, le géant japonais préférant délivrer aux fans des objets exclusifs et en quantité limitée par le biais de son site web. Ainsi, pas de hausse de prix, mais des goodies et des accessoires en renouvellement constant, échangeables contre des points acquis gratuitement en achetant jeux et consoles de la marque. Tout juste peut-on signaler qu’en 2003, Nintendo fit l’effort de sortir une édition limitée de The Legend of Zelda Wind Waker sur Gamecube, qui proposait un deuxième disque, incluant le déifié Ocarina of Time, ainsi qu’une version légèrement remaniée de ce même jeu (Master Quest).
Le collector puissance HD
Ce n’est finalement que récemment que les éditeurs ont multiplié les initiatives pour offrir aux consommateurs européens des éditions spéciales aux atours soignés. C’est généralement pour la période de Noël que la cadence des grosses sorties s’accélère brusquement. De quoi voir en l’édition collector un moyen supplémentaire de créer un avantage concurrentiel. Mais pas uniquement. Diversifier les offres et les packagings représente un mécanisme efficace pour revoir les tarifs à la hausse sous le couvert de bonus supplémentaires, pour un retour sur investissement plus rapide. Avec la génération des consoles HD, la production de jeux vidéo n’a jamais nécessité autant de moyens, et les plus gros projets s’apparentent de plus en plus à des blockbusters hollywoodiens. Une réalité qui oblige les éditeurs à répercuter leurs coûts sur le prix des jeux, et à prendre davantage de mesures pour bien les écouler.
Les éditions collector représentent en outre un outil de segmentation non négligeable, qui permet de toucher plusieurs cibles à la fois. Certains consommateurs, moins regardants sur les tarifs que le joueur lambda, ont ainsi des exigences supplémentaires lorsqu’ils acquièrent un jeu. Cela peut concerner l’esthétique du packaging, ou bien la rareté de l’objet. Le jeu en lui-même devient alors presque secondaire dans l’acte d’achat, et l’édition limitée un moyen de se différencier de son voisin. Les éditions limitées représenteraient une dérive de la société de consommation? Pas uniquement : les éditions limitées répondent aussi à un besoin d’approfondissement des connaissances autour du jeu, et du contexte qui l’entoure. Ne serait-ce que pour mieux saisir où l’équipe a voulu emmener le joueur, et pourquoi.
La Xbox 360, eldorado du collectionneur
La Xbox 360 est ainsi devenue la plateforme de prédilection pour les collectionneurs, et ce dès ses premiers mois d’existence. Cela a commencé avec The Elders Scrolls IV: Oblivion, dont la version collector n’a pas fait dans la demi-mesure. DVD bonus gorgé d’artworks et de screenshots, making of classieux réalisé par la société Thinkfilm, réplique grandeur nature d’un Septim, la monnaie utilisée dans le jeu, livre de 112 pages relatant l’histoire de Tamriel… Impressionnant ! Le premier gros blockbuster de la Xbox 360, qui a fait la démonstration du potentiel technique de la console, avec brio qui plus est, ne pouvait débarquer sur les linéaires sans une édition collector. Gears of War s’est ainsi vue gratifié d’une boite métallisée du plus bel effet, d’un livret d’artworks, « destroyed beauty », et d’un DVD bonus comprenant un documentaire : Gears of war : The race to E3. Les éditeurs ont vite rivalisé d’ingéniosité pour sortir le coffret le plus à même d’appâter l’œil du chaland. On citera par exemple, l’édition limitée de Viva Pinata, reconnaissable entre mille, avec son packaging fluo à la forme pour le moins originale, et contenant un épisode du dessin animé Viva Pinata, ainsi qu’une suite de démos de titres arcades.
D’autres productions ont même bénéficié d’une triple édition, comme pour souligner leur imposant statut de grosse production. Difficile d’occulter ce qui fut probablement le lancement le plus médiatique de l’année 2007, à savoir celui d’Halo 3. Le jeu a ainsi été proposé en édition standard, bien sûr, en édition limitée, et en édition Légendaire. L’édition limitée, métallisée, a été dotée d’un panel conséquent de bonus, tels que des images des coulisses du jeu, des vidéos sous forme de documentaires en haute définition, ainsi qu’un outil de calibrage pour le son et l’image. Quant à l’édition Légendaire, elle porte bien son nom, puisqu’elle s’est vue accompagnée d’une impressionnante réplique miniature d’un casque Spartan, ainsi que de deux DVD bonus, permettant d’approfondir à fond l’expérience Halo. Cette édition ultra limitée et numérotée ne s’est bien sûr pas adressée aux petites bourses, puisque les fans désirant acquérir le package ultime ont dû se délester de 130€.
Quand le collector est au service du jeu
Pour coller au plus près des attentes des joueurs, certaines compagnies ont même procédé à des sondages, histoire de fournir un contenu réellement désiré par les consommateurs. C’est le cas d’Irrational Games, qui à l’occasion de la sortie de Bioshock, a demandé aux joueurs de choisir quel objet ils souhaiteraient se voir offrir avec le jeu. La figurine du charismatique Big Daddy est ainsi sortie du lot, pour le plus grand plaisir des fans de la cité de Rapture. Autre jeu à proposer une imposante figurine, Assassin’s Creed. Comme Halo 3, la plus grosse production d’Ubisoft a fait l’objet de trois éditions. Les plus fervents collectionneurs ont pu compter sur une imposante figurine d’Altair (7,5 cm environ), un comics dessiné par Penny Arcade, un mini-guide stratégique et un disque bonus, contenant essentiellement des vidéos de making of.
Certains titres ont profité de leur cachet réaliste, ou imprégné des réalités géopolitiques actuelles, pour proposer un contenu à caractère authentique, sous forme de vidéos d’archives, en lien direct avec l’univers du jeu, et de son époque. Cela concerne bien évidemment les FPS et autres STR axés sur les conflits armés. Sierra Entertainment a par exemple proposé pour World in Conflict un pack collector contenant un DVD additionnel intégrant un documentaire de l’History Channel traitant du mur de Berlin, de son élaboration à sa destruction. Et pour coller « physiquement » à cette réalité historique ayant marqué la seconde moitié du XXe siècle, l’éditeur a aussi inclus dans le coffret un fragment véritable du mur de Berlin !
Les éditions collector, parfois synonyme d’arnaque ?
Avec l’explosion des DLC dans les blockbusters à partir de 2008, certaines firmes telles Game et Micromania ont développé leurs propres versions limitées en incluant des Steelbox (boîtier en fer) ou proposent des bonus à télécharger gratuitement en cas de précommande. Il y a aussi des versions « améliorées » proposées à dix euros de plus que les versions standards à 70€, mais elles n’apportent pas grand-chose. Les packs chez Game ou Micromania, tout comme les versions « améliorées » à 80€, n’ont rien de collector, car ils sont produits et vendus en milliers d’exemplaires.
La mode des DLC, les contenus téléchargeables supplémentaires, a engendré un autre type d’abus : les éditions limitées payées au prix fort à la sortie du jeu sont bien vite obsolètes lorsque sort la version « Game of the year » du même jeu, c’est-à-dire un pack rassemblant absolument tous les DLC et bonus. Il est par exemple facile d’imaginer la tête déconfite des acheteurs de l’édition limitée de Batman Arkham Asylum en 2009 lorsqu’est parue un an plus tard sa version « Game of the year », incluant le jeu refait en 3D, avec deux paires de lunettes spéciales, et bien évidement tous les DLC.
Autre constat désobligeant : quel que soit le prix de l’édition limitée, si le jeu se crashe dans les charts, elle perd immanquablement de sa valeur. Ainsi, le pack ultime de DJ Hero 2 – qui inclue tout de même les jeux DJ Hero 1 et 2, un micro filaire et deux platines sans fil noires laquées – a vu son prix fondre en passant de 2010 à 2011, de 180€ à moins de 50€…
Enfin, si les éditions japonaises sont généralement mieux fournies qu’en Europe pour le même prix en raison du poids très lourd de certains packs (qui verraient leurs frais de port s’envoler), il est déjà nettement plus difficile à comprendre pourquoi les différents pays européens n’ont pas tous le droit aux mêmes packs. Par exemple, l’édition limitée de Resident Evil 5 en 2009 en France incluait le jeu, une boite en acier, un DVD bonus avec le making of du jeu et le trailer du film Resident Evil Afterlife. Pour le même prix, les Anglais avaient droit au contenu précédent, plus un sac, une figurine, un patch à coudre et un collier. Pourquoi les Français seraient-ils toujours lésés par les éditeurs alors que leurs voisins ont droit au tapis rouge ?
S’il serait inutile de citer toutes les éditions limitées sorties à ce jour, il convient d’observer à quel point ce phénomène a pris de l’ampleur sous nos latitudes depuis quelques années. Stratégiques sur le plan financier, vectrices d’image, voire de prestige pour les jeux qui en bénéficient, elles ont aujourd’hui trouvé une place prépondérante au sein d’un marché de masse qui tente de séduire une clientèle toujours plus large. Si leur impact global sur les ventes n’est toutefois pas encore des plus évidents, elles répondent à une demande bien réelle, et qui devrait logiquement encore s’accroître pour cette fin d’année 2011. En connaissance de cause, allez-vous craquer pour l’édition luxueuse de The Elder Scrolls V : Skyrim à 150€ ?
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.