J’éteins la télévision, marre de la pub. J’allume la console et que vois-je?! Encore et toujours de la pub! La publicité contamine la totalité de nos écrans et machines du quotidien pour se loger le plus loin possible dans nos têtes. Quel est son impact sur les jeux et les joueurs?
Que vient faire la pub dans les jeux vidéo ?
Autrefois cantonnée à la télévision, aux journaux, aux affiches, à la radio et au cinéma, voilà que la pub s’incruste sur nos smartphones et consoles de jeux. Étonnant ? Pas vraiment, puisque la pub est présente sur tous les vecteurs susceptibles de toucher un large public, et que le jeu vidéo est devenu un marché de masse: ce secteur pesait 32 milliards de dollars en 2008, il en pèse aujourd’hui 74 milliards. Qu’est-ce qui a changé ? Le joueur d’aujourd’hui a, en moyenne, une trentaine d’années, et dispose donc d’un véritable pouvoir d’achat, contrairement à l’adolescent qui n’est financièrement pas encore indépendant. Parmi ces joueurs, 38% sont des femmes, une toute nouvelle cible intéressante des régies publicitaires. Il existe également une grande diversité dans le profil des joueurs, signant la fin de la séparation entre les joueurs dits extrêmes, les « hardcore gamers », et les « casual gamers », les joueurs occasionnels. Une étude, menée en 2006 aux États-Unis par le cabinet Parks Associates auprès de 2 000 joueurs, permet de distinguer six profils de joueurs différents. Une aubaine pour les annonceurs, qui peuvent répandre de la publicité adaptée au type de joueur. Il est vrai qu’on imagine mal une pub Hello Kitty dans Mortal Kombat, ou une pub Durex dans Léa Passion !
Quand le jeu vidéo est utilisé pour ramollir le cerveau
Souvenez-vous de la polémique éclairante soulevée par l’ex-dirigeant de TF1, Patrick Le Lay, en 2004: « Soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola (par exemple) à vendre son produit. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible: c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». La même logique est à l’œuvre dans les jeux vidéo qui abritent de la publicité: conditionner le cerveau à percevoir, comprendre et mémoriser un produit X, et changer au final les joueurs en consommateurs. Semblables aux ménagères qui se prélassent devant une émission de télé-réalité, les jeunes se divertissent devant un jeu vidéo. Nous baissons notre garde et nous ne faisons même plus attention à la publicité tant elle envahit notre espace de récréation. Sauf que notre cerveau enregistre ce que le marketing s’ingénie à exposer par des techniques de manipulation mentale. Pour schématiser, les jeunes découvrent la publicité pour un produit X dans leur jeu vidéo préféré. Ce faisant, l’annonceur espère créer un réflexe de réactions positives. En clair, les jeunes vont associer inconsciemment les joies procurées par le jeu vidéo au produit X, ce qui favorise l’achat. L’Interactive Advertising Bureau, qui rassemble les acteurs du secteur de la pub en ligne, estime ainsi qu’une publicité est efficace seulement quand le joueur l’a vu pendant un total de 10 secondes cumulées, le décompte commençant après la première demi-seconde d’affichage. Le pire, c’est que ces stratagèmes sont diablement efficaces. L’étude menée par le cabinet Phoenix Marketing International auprès de 1 500 personnes indique que même après plusieurs jours, 42 % des joueurs se souviennent spontanément d’une publicité vue dans un jeu.
Les joueurs aiment-ils voir de la pub jusque dans leurs jeux ?
Deux études effectuées en 2008 aboutissent au même résultat, assez surprenant. La première, menée par GameSpot UK auprès de 3 575 joueurs (98 % de sexe masculin, 76 % de 13-24 ans), en collaboration avec l’Internet Advertising Bureau, a mis en évidence que 73 % des personnes interrogées n’avaient pas une opinion négative vis-à-vis de la publicité in-game. Un tiers affirme ne même plus la remarquer tant ils sont habitués à la présence de réclames dans les jeux. Seuls 14% des joueurs ont jugé que la pub avait influé négativement sur leur expérience de jeu. La seconde, mené par le bureau Nielsen pour l’agence de publicité IGA Worldwide révèle que 82% des consommateurs réagissent positivement à la publicité dans les jeux vidéo. 61% d’entre eux déclarent même avoir une meilleure opinion des produits présentés après avoir joué. Aussi désolant soit-il, une majorité de joueurs estime que les publicités in-game relevées ne les ont pas distraits ni frustrés lors de leur session, et que leur expérience de jeu s’en est même trouvée enrichie lorsque le produit a eu un lien avec le contenu même du jeu. Un nombre élevé de participants a avoué avoir changé positivement d’opinion sur un produit après avoir joué au jeu le faisant apparaître en publicité. Au vu des résultats, qui mettent en lumière la manne financière considérable que peut représenter l’adjonction de publicités au sein des jeux, le PDG d’IGA Worldwide Justin Townsend jubile : « Maintenant que les jeunes adultes passent en moyenne 6 heures par semaine à jouer, les annonceurs devraient se réjouir de voir comment leurs messages sont accueillis et combien les marques sont perçues positivement dans les jeux vidéo ». Enfin, une étude française réalisée en février 2011 par L’Atelier BNP Paribas-IFOP auprès d’un échantillon de 1 026 personnes indique que trois joueurs sur dix se déclarent attentifs aux publicités ou aux produits sponsorisés introduits au sein des jeux vidéo.
La pub passe en priorité par les jeux de sport
Jusqu’à présent, les jeux de sport ont été le principal cheval de Troie qui a permis aux annonceurs de porter l’attention des joueurs sur leur marque. Les éditeurs sont dans leur grande majorité réticents à permettre l’incursion de publicités au sein de leurs jeux, hormis lorsqu’elles s’inscrivent dans une démarche réaliste et contextuelle, et crédibilisent davantage la situation par leur présence, comme c’est par exemple le cas pour un match de football. En 1994, Electronic Arts lance le premier FIFA, basé sur la licence de la Fédération Internationale de Football Association. Pour l’une des toutes premières fois, une marque extérieure est intégrée dans un jeu vidéo sur les panneaux publicitaires entourant le terrain. On y trouve également de l’autopromotion avec la présence des logos EA afin d’augmenter la notoriété de la firme auprès des joueurs. Le plus troublant reste que près d’une vingtaine de titres produits par EA font leur entrée en magasin la même année, mais aucun d’entre eux ne contient de publicité. À partir de 1998, la notoriété de l’éditeur EA est désormais définitivement acquise, ce qui lui permet de développer les possibilités de communication à offrir aux annonceurs. FIFA World Cup 98 martèle dans la tête des joueurs d’acheter les produits Opel, Mastercard, Snickers, McDonald’s, Philips, Casio et JVC. En 2001, la précision des détails due aux évolutions techniques permet d’afficher les sponsors officiels sur les motos du jeu Superbike 2001 dans l’optique revendiquée de toujours plus se rapprocher du réalisme. Cette fois, la publicité est apposée à un véhicule et donc totalement adaptée à sa mouvance. En 2003, Nike sponsorise officiellement le jeu de golf Tiger Woods PGA Tour 2003. Il s’agit de la seule marque présente sur le titre. Dans la version antérieure, le logo Nike apparaissait lors des ralentis. Cette fois, la marque apparaît sur les vêtements du joueur, ce qui tend à davantage de réalisme. Le fait qu’un seul annonceur soit présent dans le jeu démontre que, comme en sponsoring classique, une marque peut négocier les droits pour décrocher une exclusivité. En 2005, la publicité envahit la totalité des titres EA Sports. Avec plusieurs niveaux de lisibilité et différents degrés de mise en avant, les annonceurs sont nombreux à s’implanter sur les bannières autour des terrains, mais aussi dans les tribunes et lors des ralentis, sur les équipements sportifs. Au final, le regard du joueur est constamment exposé à de la publicité dans les titres EA Sports.
Quand le jeu vidéo vire à la propagande
Barack Obama était le tout premier homme politique à exploiter le jeu vidéo en 2008. Le camp Obama était déjà très actif sur Internet, qui s’est certainement révélé comme le média essentiel de cette campagne américaine. Profitant du développement de la publicité dynamique en plein jeu, le camp Obama s’est offert de l’espace publicitaire dans neuf des titres les plus populaires édités par Electronic Arts. Le candidat démocrate apparaissait ainsi sur des affiches géantes dans Burnout: Paradise.
Le but? Créer le buzz, une technique de communication de type « viral », faite d’auto-promotion par les joueurs. Et ceci, sans qu’EA ou le camp Obama ne doivent débourser le moindre centime en promotion supplémentaire, puisqu’elle se fait automatiquement entre joueurs, par le bouche-à-oreille. C’est un moyen d’inciter à voter les joueurs, dont beaucoup gardent leur télévision éteinte. B. Obama s’assure donc une visibilité plus importante qui s’ajoute à toute la campagne déjà effectuée. Mais la propagande ne s’arrête pas là, le studio Pandemic a en effet carrément inclus B. Obama et Sarah Palin, du camp républicain, en personnages jouables dans Mercenaries 2. A quand Nicolas Sarkozy en bidasse dans Call of Duty: La Grande Vadrouille?
Les stars du jeu vidéo transformées en hommes-sandwichs
On connaissait James Bond, roi du placement produit au cinéma. Sur le modèle de l’espion bardé de gadgets Hi-Tech, Sony Ericsson Mobile Communications et l’éditeur Ubisoft annoncent un accord pour l’intégration du PDA Sony Ericsson P900 dans Splinter Cell: Pandora Tomorrow en 2004. Le premier épisode étant un succès dans les charts, il n’est guère étonnant de voir des grandes marques s’intéresser à l’avenir de la série. La manière dont la marque de téléphone s’intègre à Splinter Cell: Pandora Tomorrow n’a suscité aucune réaction vive allant à son encontre. Sam Fisher, seul face aux terroristes, voit le destin du monde reposer sur ses épaules. Mais notre espion ne fait pas ce qu’il veut: il reçoit des directives de la part de son employeur, Échelon 3, une entité secrète de la NSA. Pour communiquer, l’espion peut compter sur son Sony Ericsson P900, dont l’utilisation est bien entendu indispensable pour progresser dans le jeu. Comme l’explique Dewey Walsh, directeur marketing de Sony Ericson: « Le smartphone Sony Ericsson P900 est le complément ultime pour aider Sam Fisher à assurer ses missions. Avec sa combinaison de fonctions PDA, téléphone et appareil photo, il combine le top de la technologie mobile, et donne à notre héros tout le nécessaire pour combattre le mal». Toutes les dernières fonctionnalités technologiques grand public de l’époque se trouvaient effectivement dans ce téléphone. Mais de là à dire qu’il s’agit de tout ce que le joueur à besoin « pour combattre le mal » provoque un malaise certain.
Certes le produit correspond au jeu, mais inclure des valeurs morales au produit parce qu’il sert le « bien » dans le jeu relève de l’abus, surtout que venaient à peine d’éclater les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Bien que la publicité in-game puisse influencer la perception d’une marque ou la volonté d’achat, les jeux vidéo ne sont pas un support adéquat pour modifier la perception des valeurs qu’ont les joueurs d’une entreprise. Le partenariat Sony / Ubisoft s’est ensuite clos par une habile opération de cross-marketing, puisque c’est cette fois Sam Ficher qui s’intégrait au téléphone portable. En effet, un jeu pour téléphone a été spécialement réalisé pour le smartphone T630. Jeu qui a été évidemment utilisé comme argument publicitaire dans la phase de vente du produit. Non seulement la publicité doit s’intégrer le plus naturellement possible au contexte d’un jeu, mais elle doit également se plier à son contexte technique et ne pas dénaturer l’expérience virtuelle du joueur.
Mais l’imagination des publicitaires ne s’arrête pas là. Lors d’une conférence à New York organisée le 12 novembre 2009, le représentant d’Ubisoft Jeffrey Dickstein, a présenté aux annonceurs le principe des « Heat Maps » (points chauds), c’est-à-dire le repérage des meilleurs espaces disponibles sur chacune des cartes conçues par les développeurs de Splinter Cell Conviction. Or, selon Jeffrey Dickstein, les « Heat Maps » auraient tout intérêt à être placés lors des moments clés où le joueur éprouve le plus d’émotions, c’est-à-dire lors des interrogatoires de fin de niveaux. Splinter Cell Conviction utilise en effet des séquences de torture prolongée, et c’est lors de ces phases que les joueurs semblent être le plus réceptifs à la publicité. Si l’on met en exergue ce que disait Dewey Walsh sur le camp du « bien » dans Splinter Cell, l’association publicité / jeu vidéo n’a déjà plus grand-chose à voir avec la morale.
La pub : accroître les revenus des éditeurs au détriment des joueurs ?
Plus encore qu’une incitation à l’achat, la publicité in-game peut représenter un apport financier substantiel pour le développement des jeux. La plupart des éditeurs ont annoncé leur intention d’utiliser la publicité in-game pour amortir les coûts de maintenance des titres en ligne. Sony, suite à ses partenariats avec IGA Worldwide, et Double Fusion s’est fermement positionné pour intégrer progressivement les publicités dynamiques et contextuelles à ses plateformes Online, ainsi qu’à un certain nombre de titres sur ses consoles. De son côté, Microsoft a acquis en 2006 pour plus de 200 millions de dollars l’agence de publicité Massive, spécialisée dans l’incorporation de publicités au sein des jeux. La firme espère ainsi toucher les consommateurs par le biais de ses services en ligne MSG Games et du Xbox Live. L’agence Massive a permis l’émergence de cette nouvelle forme de réclame in-game qu’est la publicité dynamique. Celle-ci évolue au gré des opérations promotionnelles, et peut changer d’un jour sur l’autre. Ainsi, L’Oréal a fait la promotion du parfum Diesel à travers plus d’une cinquantaine de jeux en régie chez Massive et Microsoft Advertising en 2009, dont Need for Speed Undercover, Wheelman, NBA Live 09, Burnout Paradise, Pro Evolution Soccer 2009 et Shaun White Snowboarding.
Interrogé par le magazine Edge, David Perry (dirigeant de Game Investors et Game Industry) estime que l’omniprésence de la publicité est acceptable aux yeux des joueurs occidentaux aussi longtemps qu’ils pourront obtenir quelque chose en retour. Se basant sur un sondage effectué en interne, D. Perry déclare : « Vendre un jeu à plein tarif en incorporant de la publicité partout, c’est comme si on giflait les gamers de plein fouet. Alors que si vous leur dites que la publicité peut être suspendue à tout moment, le problème n’a plus lieu d’être ». D. Perry remarque que s’ils en avaient la possibilité, 100 % des joueurs supprimeraient la publicité; mais que si cette dernière leur permettait par exemple d’avoir accès à des programmes gratuits, ils la réintégreraient à tous les coups. Prenant l’exemple des MMO-RPG, D. Perry observe en outre que 97 % des joueurs interrogés seraient prêts à laisser active une publicité au sein du jeu en échange d’un gain immédiat de points d’expérience. Basant son explication sur l’idée de l’échange équitable, il considère que la pub in-game devient d’autant plus acceptable pour le joueur qu’elle lui procure un avantage latent, directement en rapport avec ses intérêts ou sa progression au sein du jeu. D. Perry revient également sur un concept d’annonce publicitaire qu’il a intitulé « Just in time » : « Il n’y a aucune réclame sur l’écran. Je m’assieds dans le magasin d’articles pour regarder une épée, en me disant : « Cette épée déchire ! » Mais elle coûte un certain prix, et je ne peux pas dépenser autant pour elle. Vous continuez à jouer puis revenez un mois après en vous morfondant : « Dieu que j’aimerais avoir cette épée, et il n’y a aucun moyen que je mette la main dessus. » Et si à cet instant précis, une annonce apparaissait en disant : « Coca Cola se propose de vous acheter l’épée. Accepteriez-vous ? ». Et ce sera tout. Vous pouvez refuser, mais je n’ai même pas besoin d’effectuer un sondage pour connaître les réponses. C’est un échange positif entre l’annonceur et le consommateur, et nous pouvons établir un taux avec Coca Cola pour acheter ces épées magiques à un coût ridiculement bas, parce que ce sont des articles virtuels. Il y aurait un impact merveilleux sur le consommateur ».
Le marché de la publicité liée aux jeux vidéo étant en pleine explosion, les joueurs n’ont pas fini d’ingurgiter des logos, vidéos et autres slogans décervelant. En 2006, la publicité dans le jeu vidéo rapportait déjà 592 millions de dollars, et les prévisions de l’institut e-Marketer tablent pour 2011 sur un revenu de près de 2 milliards de dollars. Les éditeurs ont tout à y gagner. Par contre, aucune baisse générale du prix des jeux n’est annoncée…
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.