J’ai découvert le “western spaghetti”, Clint Eastwood est devenu l’incarnation parfaite du cowboy. La trilogie de Sergio Leone présentait des hommes aussi violents et pourris que ceux qui partaient à la découverte de l’Ouest, sans foi ni loi. A vrai dire, je me prenais la violence en pleine face, un peu trop jeune pour tout comprendre. J’ai été marqué par Le bon, la brute et le truand, un film aussi sec que le désert. En insatiable cinéphile, il me fallait un film à ma hauteur d’enfant : dans lequel il y ait de l’action, mais aussi des scènes plus sucrées, qui offrent des parenthèses entre deux duels. Et à cet égard, le duo Terence Hill et Bud Spencer va réaliser l’improbable : faire des parenthèses, des moments si drôles que l’on en oublie l’histoire et les flingues ! Revenons ensemble sur la saga Trinita au cinéma.
On l’appelle Trinita (1970)
On l’appelle Trinita explose le box office à sa sortie. Le succès est tel quel les films tournés précédemment par le duo Terence Hill et Bud Spencer sont tous aussitôt renommés (Trinita voit rouge / T’as le bonjour de Trinita /Trinita prépare ton cercueil et autre « Trinita » tournés avant 1970, qui n’ont en fait rien à voir le personnage de Trinita). Terence Hill est l’anti Clint Eastwood, donc l’antihéros par excellence. Trinita n’a pas une stature de géant tout raide, mais une allure petite et décontractée. Le regard d’acier est remplacé par un air ahuri, en perpétuel émerveillement face aux gens qu’il rencontre. La mâchoire carrée est décrispée, ce qui fait la part belle à un généreux sourire d’enfant. Le visage et les habits sont d’une couleur unie, celle de la crasse. Si bien que le visage de Trinita se résume en deux immenses yeux bleus et une large rangée de dents. La seule chose qu’il possède, ce sont les haillons constellés de trous et de taches qui lui servent d’habits.
Le seul cowboy le plus sale, c’est son frère Bambino (Bud Spencer), avant qu’il ne se lave ! La saleté et la paresse sont ici érigées en art de vivre. Trinita passe le plus clair de son temps à dormir dans un hamac, tiré par un cheval. Il ne se lève quasiment que pour se nourrir. Et comme il se lève rarement, il se goinfre sans discontinuer de kilos de fayots, à même la poêle. Trinita et Bambino sont deux demi-frères aux physiques et caractères diamétralement opposés. L’un est petit et séducteur, l’autre massif et bougon. Le caractère grognon de Bambino est corollaire à la constante exaspération que lui inspire son frère, qui l’entraîne toujours dans le pétrin. Le scénario de On l’appelle Trinita est nullissime : deux demi-frères que tout oppose, excepté la pauvreté, partent à la défense des plus faibles. Ici, une communauté de mormons harcelée par une bande de cowboys pour leurs terres. Ce n’est pas l’histoire qui compte, mais bien l’hilarité que provoquent les personnages.
On continue à l’appeler Trinita (1971)
Le succès du premier film surprit Terence Hill. Le public s’étant déplacé massivement pour le voir, il décide de tourner une suite qui pousse encore plus loin les vices de son personnage : plus paresseux, plus goinfre, plus sale… et plus de claques distribuées aux méchants ! On continue à l’appeler Trinita sort en salle un an plus tard, en 1971. L’humour prend une place démesurée, si bien que c’est l’univers du western qui se greffe sur la comédie, et non l’inverse. Le succès de la série parodique finit par ternir le genre « western » au point de bientôt l’enterrer.
Mon nom est personne (1973)
Le grand Sergio Leone choisit Terence Hill comme acteur principal dans son dernier western. Une hérésie, quand on sait ce que pensait Sergio Leone de Trinita : « Le jour où je vis le premier Trinita, je me suis mis à douter de ma santé mentale. Je pensais être devenu idiot. J’entendais le public hurler de rire. Je ne comprenais pas pourquoi il rigolait. Ce que je voyais me paraissait nul, mal foutu, vraiment mauvais. Je ne saisissais vraiment pas pourquoi un adulte pouvait s’amuser devant une telle connerie. En fait, Trinita était l’aboutissement logique de centaines de westerns insupportables de crétinerie. Mais j’étais très inquiet. On m’avait désigné comme le père du genre ! Je n’avais eu que des enfants tarés ! ».
Sergio Leone poursuit : « Mais j’ai fini pas comprendre ce qui s’était passé avec Trinita. Au départ, ils avaient tourné un film sérieux. Quand ils ont entendu que tout le monde rigolait, ils furent catastrophés. Terence Hill pensait que sa carrière s’arrêterait là. Mais devant le succès de la farce, ils décidèrent de rectifier le tir. Dans le premier Trinita, Terence tuait des gens. Dans la suite, il devait ne leur donner que des gifles. Et cela plaisait au public parce qu’il attendait quelque chose de nouveau. Pendant plusieurs années, les spectateurs avaient subi des centaines de films stupides où les six mêmes cascadeurs interprétaient le rôle des méchants. Il régnait une saturation et une certaine colère […]. Et voilà un film où les duels au revolver sont remplacés par des claques ! Les spectateurs se sentent libérés. C’est une revanche. Ils sont ravis de voir les méchants de tous ces films recevoir des baffes et se faire enfoncer le chapeau jusqu’aux oreilles ».
Un rêve se réalise pour Terence Hill : tourner avec le plus grand cinéaste du genre, et du coup s’affranchir de la présence d’un faire-valoir tel Bud Spencer. Le titre choisi, Mon nom est personne, constitue une double réponse à On l’appelle Trinita, et à la trilogie des westerns de « l’Homme sans nom », qui rendit célèbre Clint Eastwood : Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le bon, la brute et le truand. Mon nom est personne marque la rencontre d’un acteur connu pour ses westerns classiques, Henry Fonda, et de Terence Hill en Trinita. Le premier incarne la tradition : un personnage impitoyable mais respectueux du code des duels. Le deuxième symbolise le renouveau par la parodie : un personnage feignant, crasseux et goinfre, préférant distribuer des claques plutôt que des balles. L’un va tuer l’autre, tout comme le genre « western spaghetti » cède sa place au « western fayot ».
Comme il a donné au western ses heures de gloire, Sergio Leone entend également lui donner son coup de grâce : « Mon nom est Personne, avec Terence Hill et Henry Fonda, est la grande rencontre de la vérité et de l’idiotie. L’idiotie était prise en charge par Trinita et tous les personnages du genre. Trinita rencontre alors un vrai personnage. Et en fin de course, le vrai personnage lui donne une leçon d’humanité. Il l’envoie paître, tout simplement, en lui faisant comprendre que pour lui, l’Ouest, c’est fini ».
L’action se déroule en 1898, à la fin de la conquête de l’Ouest. Jaques Beauregard (Henry Fonda) est le justicier le plus célèbre de son époque, mais aussi celui qui a logiquement le plus d’ennemis. Héros vieillissant (70 ans), il désire régler ses comptes et prendre sa retraite. Mais il ne peut se passer de son colt : il doit affronter de plus en plus de jeunes têtes brûlées, espérant se faire un nom en tuant le héros légendaire. Fuyant la violence, il entreprend un voyage de deux semaines pour rejoindre un bateau qui le ramènera vers son pays natal, la France. Mais un jeune cowboy (Terence Hill) croise son chemin. Il n’est, selon ses propres mots, « Personne ». Il connaît tout les hauts faits de Jacques Beauregard et l’admire depuis l’enfance. Par-dessus tout, il veut voir son idole accomplir un dernier exploit, pour quitter l’Ouest en beauté. Il cherche à le pousser à accomplir un défi absurde : affronter à lui seul la Horde Sauvage, cent cinquante cavaliers sanguinaires. Voilà que Jacques Beauregard doit se montrer à la hauteur d’une légende probablement exagérée. Mais Personne espère ainsi le faire « entrer dans les livres d’Histoire ».
Ce à quoi Jacques Beauregard répond :
– Et pendant qu’ici bas, tu auras le nez dans les bouquins, je serai là-haut, moi, parmi les morts.
Personne : – Oui, mais un homme comme toi doit finir en beauté !
Jacques Beauregard : – Il est souvent plus difficile de finir que de commencer […]. Et quand tu m’auras fait entrer dans l’Histoire, comment m’en feras-tu sortir ?
Personne – Facile ! Tu vas mourir…
Dès le début du film, Jacques Beauregard tue froidement trois hommes dans un ballet au ralenti des plus esthétisants, marquant la volonté de sérieux du réalisateur. La violence est bien présente, si bien que nous n’avons pas affaire à un « Trinita » de plus. Mais il ne s’agit pas non plus d’un western habituel : les codes sont amplifiés à l’extrême, et provoquent des situations incongrues, donc comiques. Terence Hill pêche la truite au gourdin, chaparde de la nourriture et s’écroule dans des siestes interminables dès qu’il en a l’occasion. Mais il ne craint rien et ne doit rien à « personne ». Il n’est « personne » face au légendaire Jacques Beauregard, et cet anonymat lui offre une formidable liberté. Toujours souriant, il va et vient à son gré, sans contrainte. L’affiche originale du film d’action lui donne l’apparence d’un ange : il porte une selle de cheval, ce qui lui dessine une paire d’ailes sur le dos, et un rond de fumée en guise d’auréole. Mon nom est personne est un chef d’œuvre d’humour et de nostalgie.
Un génie, deux associés, une cloche (1975)
Le dernier western est le plus raté. Tourné en 1975 aux Etats-Unis, Un génie, deux associés, une cloche réunit les auteurs du magnifique Mon nom est personne. Terence Hill reprend les guenilles de Trinita, Sergio Leone se charge de réaliser les meilleures scènes, et Ennio Morricone compose l’intégralité de la bande-son. Un génie, deux associés, une cloche parodie ouvertement Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone, sorti dix ans auparavant. Le major Cabot est le « génie » du mal. Trinita et Locomotive Bill (interprété par Robert Charlebois) s’associent pour voler la fortune du major Cabot. Lucy (incarnée par Miou-Miou) est la « cloche » : une jeune femme jolie et niaise. Pourquoi Sergio Leone a-t-il choisi Miou-Miou ? Parce qu’il était fasciné par le trio des Valseuses de Bertrand Blier en 1974, et voulait le reconstituer façon western avec un casting international. On retrouve avec plaisir Trinita. Son arrivée en ville est égale à lui–même : il ne prend pas la peine de se réveiller quand on l’éjecte de la diligence, ni même quand des poules viennent picorer sur lui. Son gagne pain consiste à défier en duel le meilleur tireur de chaque ville où le hasard le fait atterrir. Son allure frêle et son extraordinaire paresse font monter les paris. Le film commence étrangement par la fin : une confrontation époustouflante entre Terence Hill et le méchant, Klaus Kinski. Trinita casse d’emblée la tension dramatique en énumérant sur un ton ironique toutes les actions qui vont suivre lors de ce duel, mais aussi tout ce que le réalisateur doit faire dans le traitement des plans et du son. Sergio Leone s’était justement fait connaître par le brio de ses mises en scène. Il veut déconstruire le style qu’il a forgé : le pistolet de Terence Hill se dégaine et tire de lui-même ! Le compte du western spaghetti est réglé : Trinita tire si vite qu’il ne peut plus trouver d’adversaires à sa mesure.
Sur le papier, le reste du scénario est assez structuré. On prend la mesure de l’intelligence de Trinita qui s’amuse à manipuler amis et ennemis pour arriver à ses fins. Mais on reste perplexe quant-au visionnage du film, qui alterne les scènes comiques et les scènes ratées. Le montage est de mauvaise qualité, chose surprenante étant donné le budget alloué. En fait, les invraisemblances et les ratages s’expliquent par le vol des bobines originales du film. Les producteurs refusèrent de payer la rançon exigée, si bien que le film du être entièrement remonté à partir de prises alternatives.
Si Trinita et le méchant de l’histoire possèdent un charisme évident, c’est loin d’être le cas de la « brute », Locomotive Bill et de l’horripilante Lucy. Comme d’habitude, Trinita va s’évertuer à se rouler dans la paresse à longueur de scènes. Et comme à chaque fois, cette langueur apparente cache en fin de compte une solide détermination à lutter contre l’injustice. Il vole au secours des plus faibles (une tribu indienne, des ouvriers exploités, la « cloche ») par la ruse et par son incroyable habileté au pistolet. Il rend jaloux la « brute » pour mieux lui faire comprendre l’amour qu’il éprouve pour Lucy, et le poids des sacrifices qu’un tel amour implique. Si quelques morts jalonnent le film, l’absence de claques et de raclées données aux méchants – marque de fabrique de Trinita – est étonnante.
De fait, donner une suite à Mon nom est personne alors que Sergio Leone avait déjà signé son adieu au western est étrange, si ce n’est pour des raisons commerciales. Quant à Terence Hill, il a parfaitement réussi à se passer de Bud Spencer et sa carrière connait déjà une renommée internationale. Il n’a pas besoin de ce Trinita de plus, où il se contente simplement de répéter les célèbres pitreries de ce SDF de l’Ouest. La musique est également d’une surprenante pauvreté. Après avoir usé de toutes les ficelles imaginables pour donner un souffle épique aux nombreux westerns auxquels il a participé, Ennio Morricone n’est plus inspiré. A vrai dire, il remplit le contrat : la musique est expurgée de sonorités dramatiques parce que le film est entièrement orienté vers la comédie. Pour le trio, c’est le film de trop, la comédie envahit le western au point de le dénaturer. Il est temps de passer à autre chose, un nouveau genre. Pour Terence Hill, c’est une descente aux enfers qui commence. Le personnage de Trinita est si populaire auprès du public que tous ses films pour s’en extirper sont des échecs cuisants. Il finit par répondre aux attentes du public et reforme le duo de Trinita : lui en faux simplet mais vrai fainéant, et Bud Spencer en énorme demi-frère colérique. Cependant, ils tournent la page du western. Sans jamais connaître de nouveau un succès comparable à celui de Trinita.
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.